Je dirais que ça a dû commencer vers 1996 ou 1997. Ma sœur Jessica en consommait un peu, mon cousin Christophe et son pote Samuel en consommaient largement plus. Globalement, je ne peux pas dire que j’ai baigné dedans, mes parents écoutaient plutôt des hits italiens, du pop rock, de la musique bretonne, une certaine diversité, mais pas de rap, même s’ils n’avaient rien contre.
Au contact des plus grands, j’ai découvert des albums, des groupes. Ma sœur Graziella m’a offert mon premier album, ça devait être en 1997 : IAM - L’École du micro d’argent. Je l’ai tellement écouté que le lecteur CD devait l’avoir en mémoire.
Mon père m’avait aussi offert un album. Nous étions partis ensemble à Extrapole à Belle-Épine, j’avais choisi un des albums que j’ai le plus écoutés : Assassin - L’Homicide volontaire.
Je me souviens des nombreuses demandes de confirmation de mon père après avoir vu la pochette avec les enfants alignés contre un mur, des fusils d’assaut braqués sur eux. “C’est bien ça que tu veux ? Tu en es certain ?”
À la même époque, pas mal de groupes tournaient, il y avait une diversité incroyable. Le Secteur Ä était complètement dingue avec les Neg’ Marrons, Stomy, le Doc, Ärsenik, Passi, … La Mafia Trece, la Cliqua, D.Abuz, 113, Rohff, Oxmo, Busta Flex, NTM, IAM, Princess Aniès, Triptik, Diam’s, Manau, Mystik, 2Bal Niggets, Ménélik, MC Solaar, KDD, Fonky Family, Less du neuf, La Rumeur, Lunatic, Intouchable, Pit Bacardi, Les Sages Po’, Zoxea, Fabe, Rocé, et bien d’autres.
Bref, une profusion de styles, de sensibilités, mais une chose revenait énormément : la motivation à s’extraire de sa condition pour la dépasser. Ça pouvait prendre plusieurs formes, hardcore ou paternaliste, mais la substance était bien là : il n’y a pas de fatalité, nous sommes acteurs de nos vies, de nos destins.
Le rap, c’était du développement personnel, un mix entre thérapie et coaching.
Ça m’a animé jusqu’à aujourd’hui.
Jeune homme lève-toi, bats-toi L’avenir appartient à celui qui s’impose Et qui ne baisse pas les bras Même si t’en as assez plus tu dors sur toi-même Et plus il est difficile de se relever
Neg’ Marrons - Lève-toi, bats-toi
Ce qui était difficile, surtout en commençant à consommer vers 10/11 ans, sans réel environnement qui baigne dans le rap, c’était de se fournir.
Sur l’ordinateur de la maison, dans le salon, accéder à internet était tellement compliqué. C’était plus simple d’allumer Adibou, mais le pauvre n’avait rien de très hip-hop. Puis nous parlons de la fin des années 90, il n’y aurait eu quoi sur le net ?
Mes principaux fournisseurs, en dehors des grands et des pépites qu’ils pouvaient faire tourner, c’était la radio et les magazines.
En radio, il y avait Génération. Les provinciaux ont manqué un truc de malade. Pour se rattraper, il y avait également La Nocturne avec cette intro de Beenie Man tellement dingue et gravée à jamais dans ma caboche.
Planète Rap était aussi une énorme source, mais La Nocturne était un rendez-vous immanquable pour moi, ainsi que la Sky Rave par la suite.
Pour les fanzines, il y avait Groove et RAP. L’un des deux, voire les deux, je ne me souviens plus, étaient accompagnés d’un CD pour découvrir de nouveaux titres puis, par la suite, des clips. C’est de cette manière que j’ai vu pour la première fois Que le hip-hop repose en paix. Quelle folie furieuse, ce singe sur l’orgue de barbarie, le Duc dans sa caisse. Des images gravées, indéboulonnables.
Se fournir était donc possible, ce qui était plus compliqué c’était d’avoir des sons qui sortaient un peu des sentiers battus de Skyrock. C’est là qu’il fallait tendre l’oreille et gratter ce qui était possible de gratter. Je me souviens avoir tenté de piquer la BO de Ma 6-T va crack-er à un moniteur en colo. L’album m’avait tellement détruit, je devais repartir avec, obligé, mais non, grillé avant le départ.
Il y avait aussi certains pions au collège qui faisaient tourner des groupes plus confidentiels. J’ai encore souvenir de la première écoute de La Baronnerie.
Depuis, bientôt 30 ans après être tombé dans la marmite, je ne peux toujours pas m’en passer. C’est une partie principale de la BO de ma vie. Chaque titre a une place spécifique, intervient dans une scène en particulier.
Si je couche ça à l’écrit aujourd’hui, c’est parce qu’en regardant la troisième saison de Nouvelle École, je vois une nouvelle génération bien motivée et surtout super chaude arriver sur scène et ça fait énormément plaisir.
Le rap est cyclique. Il y a des phases, pas forcément de même niveau, mais ça change assez régulièrement. J’ai beaucoup évoqué les artistes écoutés à la fin des années 90 et début 2000, mais il y a eu tellement d’artistes qui ont accompagné mes nuits et journées, mes périodes de doutes et celles de joies, ma solitude et mes virées en équipe, il y en a trop à lister.
Cette nouvelle génération apporte quelque chose de très frais, ça faisait un moment que j’attendais ça.